Je poste ici le texte que j'avais fait pour mon duel avec Mamzelle Rainbow, sur LOW.
Ceux de WT n'avaient pas eu l'occasion de le lire.
Temperance
Je n'en pouvais plus. Cela faisait des heures que je fixais la rue d'un œil envieux, aussi glaciale fut-elle, à cette heure tardive de la nuit.
Il fallait que je sorte. Je jetai un coup d'œil à mon taudis, aux tâches du sol crasseux, à cette ambiance malsaine qui planait dans mon misérable petit appartement. J'humais l'écœurante odeur du tabac froid et cela me fit frissonner d'effroi. Je me dégoutais.
Depuis des mois, je menais une vie de bâtons de chaise, vivais la nuit et dormais le jour, même si mes heures de sommeil étaient particulièrement courtes. Cela m'avait valu ce teint blafard et ces cernes violacés. Mes joues creuses, elles, étaient la conséquence de mon alimentation hasardeuse. Je tirai une énième cigarette de son étui, la portai à mes lèvres fines et gercées et me levai avec lenteur.
Avec une agilité presque calculée, je fus devant la porte en moins de deux pas. J'enfilai mon long manteau gris, enfouis mes mains dans mes poche et rentrai le cou. J'aimais ce vêtement qui me donnait une silhouette sibylline et mystérieuse, moi qui n'avais jamais rien demandé d'autre que de me fondre dans la foule, à l'abri des regards.
J'étais en bas de l'immeuble avant même d'avoir eu le temps de m'en rendre compte. J'observais le bâtiment vétuste, encastré grossièrement entre deux autres bâtisses du même acabit. Notre hideux quartier était séparé de la route à quatre voies par une rangée infinie de bouleaux, nus en ce mois de Février qui ne se départait pas de sa froideur singulière. En vérité, le froid ne me gênait par outre mesure, au contraire j'eus l'impression que cette bourrasque glacée me réveillait de ma torpeur. Torpeur qui durait depuis ce qui m'avait parût une éternité. De cette période de doute, je voyais enfin le bout. Je progressais. J'allais enfin pouvoir sortir ma tête de l'eau, entendre et vivre dans ce monde qui m'entourait, peut-être même comme tout les autres, qui sait ? Cela dit, je ne préférais pas trop espérer.
Je marchai au hasard, flânant à travers le trottoir, jouissant de cette liberté nocturne. La vie diurne ne m'intéressait pas, le Soleil était un astre qui n'avait jamais éveillé mon intérêt. La lune, elle, était par contre une source de fascination.
J'en étais là de mes chimériques réflexions quand je m'aperçus l'endroit où la bise m'avait porté. J'avais tant de fois arpenté ces rues, avant, que m'y rendre avait été un automatisme. Pourtant les souvenirs qu'elles transportaient étaient loin de me mettre en joie. Mon humeur devint alors exécrable, et mes sourcils se froncèrent alors que je me décidai à rebrousser chemin. Je pivotai sur mes talons.
Le choc fut rude, et j'aurais été projeté en arrière si je ne m'étais pas rattrapé à temps. L'autre personne, elle, n'eut apparemment pas cette chance étant donné le cri qu'elle poussa lorsqu'elle heurta le bitume humide. J'eus tout juste le temps d'apercevoir une cascade de cheveux dorés, dont la couleur était atténuée par le ciel noir. Cela ne m'empêcha pas de la reconnaître instantanément.
- Tempérance ?
Je la regardai, à terre, avec un air abasourdi, et sans nul doute idiot. Elle me rendit un regard accusateur.
- Et si tu m'aidais plutôt à me relever, au lieu de me regarder comme un imbécile ?
- Je ne sais pas. C'est très drôle, de te voir comme ça, tu sais. J'aimerais que ce moment dure un petit instant encore, ça ne t'ennuies pas ?
- Ta gueule, salaud, souffla t-elle en s'accrochant à ma jambe pour se relever.
Je ris. Elle se redressait et frottait un peu ses vêtements souillés. Je remarquai qu'elle baissait la tête, son visage caché par une grosse mèche de son étonnante chevelure. Mettant fin à sa toilette sommaire, je pris son menton entre mes doigts sans préambule, la forçant à me regarder dans les yeux.
- Hé ? Tu as recommencé ? Tu as vu tes yeux, tu es complètement...
- Lâche moi !
- Me dis pas que t'es retombée dans ces conneries. On s'était promis, toi et moi. Donne moi ton bras.
Je lui saisis. Les habituelles traces de piqures. Les yeux rouges, les pupilles dilatées. La drogue.
Je la lâchai, un goût amer dans la bouche et un grand mépris dans le regard. J'étais trahi.
- J'ai vraiment essayé, murmura t-elle, comme pour elle même.
- Saloperies ! Tu mens. Non mais regarde toi, t'es en loques !
- Je sais.
Ses yeux rouges brillèrent. Ses lèvres se mirent à trembler. Elle se jeta sur moi et me serra de toutes ses forces, comme si sa vie en dépendait.
- Ethan !
Elle darda ses iris suppliants dans les miens. Ce fut comme un cri de détresse, un appel au secours silencieux. Je la pris contre moi et lui caressai les cheveux, déposant un baiser sur son front.
- C'est fini.